20 Minutes : Livres de science-fiction: «La France est en train de rater un rendez-vous majeur avec le public»

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INTERVIEW Au mois d’octobre 2018, une cinquantaine d’éditeurs français s’unissent pour le Mois de l’imaginaire…

>> Le Mois de l’imaginaire a lieu au mois d’octobre. Une cinquantaine d’éditeurs s’unissent pour promouvoir ce genre littéraire.
>> A cette occasion, le directeur des éditions Bragelonne, Stéphane Marsan, à l’initiative du Mois de l’imaginaire, revient sur l’importance de la littérature de genre.
>> Il déplore le mépris des libraires et des médias pour la science-fiction.

Au mois d’octobre, une cinquantaine d’éditeurs français unissent leurs forces pour le mois de l’imaginaire. L’idée : promouvoir la littérature de genre, très lue, mais également victime d’une mauvaise image chez les libraires et dans les médias. Après avoir exprimé son agacement dans une tribune parue dans L’Obs mercredi, « Pourquoi la France a-t-elle un problème avec l’imaginaire ? », le directeur des éditions Bragelonne Stéphane Marsan, à l’initiative du Mois de l’imaginaire, revient pour 20 Minutes sur l’importance de la SF.

A quoi sert le Mois de l’imaginaire ?
Quand on est éditeur de l’imaginaire en France, on n’est pas seulement les défenseurs de nos catalogues et de nos auteurs, on a besoin d’agir ensemble pour avoir d’avantage de reconnaissance et de visibilité. Le Mois de l’imaginaire permet aux éditeurs d’unir leur force pour lancer un appel aux librairies et aux médias. Quand on voit le succès que l’imaginaire a au niveau international, on se rend compte que la France est en train de rater un rendez-vous majeur avec le public et le business. Si ça marche aux Etats-Unis, ce n’est pas parce qu’ils aiment la science-fiction, c’est parce qu’ils savent que ça fait des entrées au cinéma et de l’audience à la télévision.

Concrètement, ça consiste en quoi ?
Nous organisons des opérations de promotion en librairie, des animations… L’idée est de permettre aux gens qui en lisent déjà sans le savoir de se rendre compte qu’ils n’y sont pas étrangers. L’exemple typique, c’est Bernard Werber. Il se considère comme un auteur de science-fiction, mais quand il a publié Les Fourmis, chez Albin Michel, ils ont bien compris que s’ils mentionnaient le mot science-fiction, il n’y aurait pas de presse. Il y a une conception péjorative de l’imaginaire.

Comment expliquer ce manque de reconnaissance en France ?
Au 19e siècle, il y a eu une réaction négative au succès d’Alexandre Dumas. Quand vous regardez l’histoire littéraire, Alexandre Dumas était l’archétype du grand auteur populaire. Et après lui, il y a eu une réaction du milieu littéraire et de grands auteurs -Flaubert, Zola…- qui ont préféré le roman réaliste. Il y a eu une fracture. L’idée que la littérature sérieuse et de qualité c’était la littérature réaliste s’est imposée en France. A partir de là, toutes les initiatives relevant de l’imaginaire ont été méprisées, et pas des moindres : les surréalistes, Marcel Aymé… Bien avant la science-fiction moderne. Quand le roman réaliste s’impose en France comme la référence absolue, en Angleterre, vous avez Lewis Carroll [Les Aventures d’Alice au pays des merveilles], Peter Pan, Tolkien [Le Seigneur des Anneaux]… En France, il a fallu cent ans pour se dire qu’Alice au pays des merveilles n’est pas seulement un livre pour les enfants.

Pourquoi l’imaginaire est-il si important, selon vous ?
La première raison, c’est l’étude du Centre national du livre (CNL) de 2016. Selon elle, 46 % des lecteurs entre 15 et 19 ans disent que leur genre préféré c’est l’imaginaire et 42 % disent que c’est l’aventure. Est-ce qu’on veut encourager la lecture des jeunes en France ou pas ? Le libraire qui fait l’impasse sur l’imaginaire se coupe de la lecture par les jeunes. La même étude montre que les gros lecteurs jeunes arrêtent de lire vers 16-17 ans. Et la raison, c’est le bac. On leur dit, maintenant, il faut être sérieux, il faut arrêter de lire pour le plaisir. Encourager l’imaginaire, c’est encourager la lecture. La deuxième raison est financière. Aujourd’hui, la majorité des séries achetées et produites par Netflix, Hulu et les autres, c’est de l’imaginaire. L’argent est là. Et la dernière raison : l’imaginaire, c’est l’origine des histoires dans l’humanité : ça commence par les mythes, les romans de chevalerie, les contes et les légendes… C’est un enjeu de civilisation.

Vous dites que la SF n’est pas respectée. Pourtant, on se souvient que Marie Darrieussecq a écrit un roman d’anticipation Notre vie dans les forêts lors de la rentrée littéraire de 2017…
C’est vrai. La victoire de l’imaginaire, c’est forcément sa défaite. Quand il imprègne toute la littérature, son appartenance à l’imaginaire, et à la science-fiction, s’efface. Exemple, en 2000, Gallimard sort Les Racines du mal de Maurice Dantec et fait une publicité en librairie sur laquelle est écrit : « Science-fiction, non. Le roman noir des années 2000 ». L’imaginaire imprègne toute la littérature mais il y a tellement de talents qui ne sont pas reconnus. Parce que s’il n’y a pas une opération marketing consistant à leur arracher cette étiquette, ils vont rester dans un ghetto et ils auront très peu de visibilité en librairie et ils n’auront pas de presse. Qu’il y ait des auteurs de la rentrée littéraire qu’on peut rattacher à l’imaginaire d’une façon ou d’une autre, c’est très bien, mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

Interview réalisée par Laure Beaudonnet

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